Des vertus et des opérations de l'âme de Marie dès sa conception

Publié le par lepontdusalut

DES VERTUS ET DES OPERATIONS DE L’AME DE MARIE DES SA CONCEPTION

 

 

Marie d’Agréda dit :

 

Dieu lâcha le torrent impétueux de sa Divinité vers cette Cité mystique, l’âme très-sainte de Marie, pour la réjouir et l’enrichir de la plénitude de ses Bénédictions les plus abondantes ; elles découlaient, comme d’une source inépuisable, de la Sagesse infinie et de l’immense Bonté du Très-Haut qui avait déterminé de déposer en cette divine Reine les plus grands trésors de grâce et de vertu qui aient jamais été donnés ou doivent l’être pendant toute l’éternité à aucune créature. Quand l’heure arriva de les lui distribuer, c’est-à-dire à l’instant même où elle reçut l’être naturel, le Tout-Puissant satisfit le désir qu’Il réprimait en quelque sorte dès son éternité, en attendant le temps convenable pour accomplir la promesse qu’il avait faite à son Amour. A ce effet, ce très fidèle Seigneur répandit dans la très-sainte âme de Marie, au moment de sa conception, toutes les grâces et tous les dons, à un degré si éminent, que tous les saints ensemble n’y pourront jamais atteindre, de même qu’aucune langue humaine ne pourra jamais l’exprimer.

 

Mais, quoiqu’elle fut ornée dès lors comme une épouse descendant du Ciel avec toutes les perfections et les habitudes infuses de toutes les vertus, il ne fallait pas qu’elle les pratiquât toutes aussitôt, mais seulement celle qu’elle pouvait pratiquer dans le sein de sa mère. En premier lieu elle s’exerça aux trois vertus théologales, la foi, l’espérance et la charité, qui ont Dieu pour Objet. Elle les exerça dès l’instant de l’heureuse union de son âme, connaissant la Divinité d’une manière tellement sublime et avec une foi si éminente, qu’elle pénétrait ses perfections, ses attributs infinis, la Trinité et la distinction des Personnes. Ses connaissances étaient d’un ordre merveilleux, sans que l’une empêchât l’autre, ainsi que je vais le rapporter. Elle exerça aussi la vertu d’espérance, qui regarde Dieu comme l’Objet du bonheur éternel, et comme la dernière fin à laquelle cette très-sainte âme tendit à s’unir par les plus fervents désirs, sans jamais s’attacher à aucun autre objet, ni jamais ralentir ces aspirations. Enfin elle pratiqua la vertu de charité, qui contemple Dieu comme le Bien souverain et infini, avec tant de zèle et d’amour et de respect, qu’il ne serait pas possible aux séraphins eux-mêmes, malgré tous leurs efforts et leurs vertus, d’arriver à un degré si éminent.

 

Elle eut les autres vertus qui ornent et qui perfectionnent la créature raisonnable, au même degré qu’elle eut les vertus théologales, ainsi que toutes les vertus morales et naturelles, c’est-à-dire à un degré miraculeux et surnaturel ; mais elle eut dans l’ordre de la grâce les dons et les fruits du Saint-Esprit à un degré bien plus éminent encore. Remplie de la science infuse et de l’habitude de toutes les sciences et de tous les arts naturels, elle comprit et pénétra toutes les choses naturelles et surnaturelles qui se rapportent à la grandeur de Dieu ; de sorte qu’elle fut dans le sein de sa mère, dès le premier instant, plus sage, plus habile, plus versée dans la connaissance de Dieu et de chacune de ses Œuvres, que toutes les créatures ensemble, excepté son très-Saint Fils, ne l’ont été ni ne le seront jamais. Cette perfection pour Marie ne consistait pas seulement dans les habitudes, qui lui furent infuses dans la plus large mesure, mais encore dans les actes qui y répondaient selon son état et son excellence, autant qu’il plut à Dieu qu’elle les pratiquât alors avec son concours ; car dans cette pratique elle ne fut soumise à aucune autre règle ni à aucune autre loi qu’à celle du bon plaisir de son Divin Créateur.

 

Comme, du reste, je m’étendrai beaucoup sur ces vertus et ces grâces, et sur tous leurs effets, dans la suite de cette histoire de la très-sainte vie de Marie, je dirai seulement ici quelques mots de ce qu’elle fit à l’instant de sa conception, au moyen des habitudes qui lui furent infuses, et de la lumière que ces habitudes lui communiquèrent. Par l’exercice des vertus théologales, ainsi que je viens de le dire, et de la vertu de religion et des autres vertus cardinales qui les suivent, elle connut Dieu tel qu’il est en Lui-même, comme Créateur et comme Glorificateur ; elle lui offrit ses hommages, ses louanges et ses actions de grâces par les actes les plus généreux, pour En avoir été créée ; elle y joignit des actes d’amour, de crainte respectueuse et d’adoration, glorifiant son Etre immuable par des hymnes pieuses. Elle sut quels dons elle recevait, quoique l’objet de l’un d’eux lui restât caché, et elle en rendit de très humbles actions de grâces, accompagnées de profondes inclinations corporelles, qu’elle fit aussitôt dans le sein de sa mère avec ce corps si petit. Et par ces divers actes elle acquit dans cet état plus de mérites, que tous les saints au plus haut degré de leur perfection et de leur sainteté.

 

Tout en faisant ces actes de foi infuse, elle avait une haute connaissance du mystère de la divinité et de la très-Sainte Trinité. Sans doute elle ne put point, dans cet instant de sa conception, la voir intuitivement, comme si elle eût déjà été bienheureuse ; mais elle la vit abstractivement par une autre lumière, et par une vision, qui, quoique inférieure à la vision béatifique, était néanmoins supérieure à toutes les autres manières par lesquelles Dieu peut Se manifester ou Se manifeste à l’entendement créé. En effet, elle conçut de la Divinité des notions si claires et si nettes, qu’elles lui firent comprendre l’Etre immuable de Dieu, et découvrir en Lui toutes les créatures, avec une plus grande lumière et évidence qu’on ne peut connaître d’ordinaire une créature par une autre. Ces notions furent pour elle comme un brillant miroir dans lequel se réfléchissait la Divinité, et en Elle toutes les créatures. C’est dans cette lumière et par ces notions de la nature Divine, qu’elle les vit et les connut toutes d’une manière plus claire et plus distincte qu’elle ne les connaissait par d’autres notions ou par la science infuse.

 

Dès l’instant de sa conception, elle découvrit par tous ces moyens, avec une merveilleuse pénétration, les hommes, les anges, leur rang, leur dignité et leurs opérations, et toutes les créatures irraisonnables avec leurs instincts et leurs qualités. Elle connut la Création, l’état et la perte des anges ; la justification et la gloire des bons, la chute et la punition des méchants ; le premier état d’innocence d’Adam et d’Eve, comment furent trompés nos premiers parents, leur péché et les misères auxquelles il les assujettit, et après eux tout le genre humain ; le dessein qu’avait formé la Volonté Divine pour le réparer, et qu’Elle se disposait à réaliser bientôt ; l’harmonie et les lois des cieux, des astres et des planètes ; les propriétés et la nature des éléments ; le purgatoire, les limbes et l’enfer ; et comment toutes ces choses avaient été créées, avec ce qu’elles renferment, par la Puissance Divine et conservées par sa seule Bonté infinie, sans qu’Elle eût besoin d’aucune. Et surtout elle pénétra de très hauts secrets sur le mystère que Dieu allait opérer en Se faisant homme pour racheter le genre humain, quoiqu’Il n’eût pas sauvé ainsi les mauvais anges.

 

Toutes ces merveilles à la connaissance desquelles la très-sainte âme de Marie fut initiée selon leur ordre, dès l’instant où elle fut unie à son corps, lui firent aussitôt pratiquer des actes sublimes de vertu, qu’elle accompagnait d’autres actes d’admiration, de louange, de glorification, d’adoration, d’humiliation, d’amour de Dieu, et de douleur des péchés qui offensaient ce souverain Bien, qu’elle reconnaissait comme l’Auteur et la Fin de toutes choses. Elle offrit d’elle-même un sacrifice qui fut fort agréable au Très-Haut, commençant dès ce moment de Le bénir avec un ardent amour et de Lui payer le tribut que tant d’hommes Lui avaient refusé, après les mauvais anges. Enfin, elle pria les anges bienheureux, dont elle était déjà déclarée Reine, de l’aider à glorifier le Créateur et le Maitre de tous les êtres, et d’intercéder aussi pour elle.

 

Le Seigneur lui montra dans cet instant les anges qu’Il lui donnait pour sa garde ; elle les vit, les connut, les accueillit avec bonté, et les invita à glorifier alternativement le Très-Haut par des cantiques de louange, en leur marquant en quoi devait consister ce Divin Office, qu’ils devaient continuer avec elle tant qu’ils la garderaient et l’assisteraient, c’est-à-dire tout le temps de sa vie mortelle. Elle connut aussi toute sa généalogie, celle du peuple saint choisi de Dieu, des patriarches et des prophètes ; elle vit combien la Majesté Divine avait été admirable dans les dons et les bienfaits dont Il les avait comblés. Par un autre prodige, ce corps délicat et si petit, dans le premier instant où il reçut l’âme très-sainte, qu’il eût été difficile de distinguer ses différents organes, versa des larmes dans le sein maternel, à la vue de l’injure que la grièveté du péché faisait au souverain Bien, et par la douleur que la chute de l’homme causait à celle qui avait été choisie pour Mère de Dieu ; c’est qu’il fallait que toutes les merveilles se réunissent pour la rendre illustre.

 

Dès qu’elle eut reçu l’être, elle pria avec cette tendresse miraculeuse, pour le salut des hommes ; et elle commença dès lors à exercer en leur faveur l’office de médiatrice, d’avocate et de réparatrice. Elle offrit à Dieu les soupirs des patriarches et des justes de la terre, pour obtenir que sa Miséricorde ne retardât plus la Rédemption des mortels, qu’elle regardait déjà comme frères, et qu’elle aimait d’une très ardente charité avant même d’avoir conversé avec eux ; car cette aimable bienfaitrice eut à peine reçu l’être naturel, que l’Amour Divin et fraternel embrasa son cœur. Le Très-Haut agréa ces demandes avec bien plus de complaisance que toutes les prières des saints et des anges ; et cet agrément fut manifesté à celle qui venait d’être créée pour être Mère de Dieu Lui-même, quoiqu’elle en ignorât la fin ; elle connut seulement l’amour du même Seigneur, et le désir qu’Il avait de descendre du Ciel pour racheter les hommes. Il était naturel qu’Il se sentit comme obligé de hâter cette venue par les prières et par les demandes de la créature, pour laquelle Il venait principalement, et de la substance de laquelle Il devait prendre sa propre chair en opérant la plus admirable de toutes ses Œuvres, celle qui était la fin de toutes les autres.

 

Dans le même instant de sa conception, elle pria aussi pour ses parents selon la nature, Joachim et Anne, qu’elle voyait et connaissait en Dieu avant de les voir corporellement ; et elle exerça en même temps envers eux la vertu de l’amour, du respect et de la reconnaissance filiale, sachant qu’ils étaient la cause seconde de son être naturel. Elle fit aussi plusieurs autres demandes en général et en particulier pour des objets différents, et composa, par la science infuse qu’elle avait, des cantiques de louanges dans son entendement et dans son cœur, pour avoir trouvé à la porte de la vie la précieuse drachme que nous avons tous perdue dès notre origine. Elle trouva la Grâce qui venait à sa rencontre, et la Divinité qui l’attendait aux portes de la nature. Ses puissances rencontrèrent, dès leur premier éveil, le très noble objet qui les mit en jeu, parce qu’elles n’étaient créées que pour Lui ; or, devant entièrement Lui appartenir, il fallait qu’elles Lui consacrassent les prémices de leurs opérations. Ces prémices furent la connaissance et l’amour de Dieu, sans qu’il y ait eu pour l’auguste Marie aucun moment où elle n’ait connu et aimé Dieu avec un plein mérite, bien supérieur à celui que règlent les lois communes ou les conditions générales. Tout fut grand en celle qui sortit grande de la Main du Très-Haut, afin qu’elle grandit toujours en avançant, jusqu’à ce qu’elle atteignît à une grandeur telle que Dieu seul fût plus grand qu’elle. Oh ! Que vos pas furent beaux, fille du Prince céleste, puisque du seul premier vous arrivâtes à la Divinité. Vous êtes deux fois belle, parce que votre grâce et votre beauté sont au-dessus de toutes les beautés et de toutes les grâces. Vos yeux sont divins, et vos pensées ressemblent à la pourpre du Roi, puisque vous Lui avez ravi le Cœur, et L’avez amoureusement blessé et attiré par vos cheveux ; ainsi épris de votre amour, vous L’avez captivé dans votre sein virginal et L’avez enfermé dans votre cœur.

 

Ce fut véritablement alors que l’Epouse du Roi de Gloire dormait, pendant que son cœur veillait. Ses sens corporels dormaient ; mais ils avaient à peine reçu leur forme naturelle, et n’avaient pas encore joui de la lumière du soleil matériel, que déjà ce cœur divin, bien plus merveilleux par la grandeur de ses dons que par la petitesse de son volume, veillait dans le sacré sein de sa Mère, y étant éclairé de la lumière de la Divinité, qui l’inondait et l’embrasait des flammes de son Amour immense. Il n’était pas convenable que les puissances inférieures agissent dans cette divine créature avant les facultés supérieures de l’âme, ni que les opérations inférieures de celles-ci pussent ne pas être égales aux opérations des autres créatures ; car si l’acte doit être en rapport avec l’être qui le produit, la créature qui l’emportait, et en dignité et en excellence, sur toutes les autres, tant angélique qu’humaines, devait aussi agir avec une supériorité proportionnée à sa prééminence. Elle devait d’autant moins être privée de l’excellence des esprits angéliques, qui usèrent de leurs puissances dès l’instant de leur création, qu’une prérogative semblable revenait plus justement à celle qui était destinée à être leur Reine et leur maitresse. Cette prérogative devait être d’autant plus complète, que le nom et l’office de Mère de Dieu est plus considérable et plus relevé que celui de ses serviteurs, et que le titre de Reine l’emporte sur celui de sujets ; car le Verbe n’a dit à aucun des anges : vous êtes ma Mère, ni aucun d’eux n’a pu lui dire : vous êtes mon fils. Ce lien étroit et ces relations n’existent qu’entre Marie et le Verbe incarné ; et c’est par là qu’il faut mesurer et rechercher la grandeur de Marie, comme l’Apôtre cherche celle de Jésus-Christ.

 

Je reconnais mon ignorance et mon insuffisance, à moi pauvre femme, pour écrire les Divins Secrets du Roi de Gloire dans cet heureux temps, et pour rapporter dignement ses Œuvres ; je m’afflige même d’être réduite à me servir de termes communs et creux, par lesquels je ne saurais exprimer tout ce que je découvre à la lumière dont ces mystères remplissent mon âme. Il nous faudrait d’autres paroles, d’autres considérations et d’autres termes plus propres et plus significatifs ; mais ils sont au-dessus de ma portée. Quand je pourrais d’ailleurs parler un autre langage, plus riche et plus énergique, il accablerait la faiblesse humaine. Que notre intelligence se reconnaisse donc incapable de regarder fixement ce divin soleil, qui apparaît au monde couronné des rayons de la Divinité, quoique caché, comme dans un nuage, dans le sein maternel de sainte Anne. Que si nous voulons mériter la grâce de nous approcher et de jouir de cette merveilleuse vision, allons-y libres et dépouillés, les uns de cette naturelle lâcheté, les autres de cette circonspection craintive qui se couvre du manteau d’une fausse humilité. Mais approchons-nous en avec une ardente dévotion et avec une piété éloignée de tout esprit de contention ; c’est ainsi qu’il nous sera permis de voir de près le feu de la Divinité au milieu du buisson qu’il brûle sans le consumer.

 

J’ai dit que la très-sainte âme de Marie vit abstractivement l’Essence Divine, dans le premier instant de sa très-pure conception, parce qu’il ne m’a pas été révélé qu’elle ait vu la Gloire Essentielle ; j’ai plutôt lieu de croire que ce privilège fut uniquement réservé à la très-Sainte âme de Jésus-Christ, comme lui étant dû et comme résultant de son union substantielle à la Divinité en la Personne du Verbe, afin que son âme ne cessât pas un seul instant de lui être unie par ses puissances et par une grâce souveraine et une éminente gloire. Car notre Seigneur Jésus-Christ commença d’être homme et Dieu tout ensemble ; il commença aussi de connaître et d’aimer Dieu à la manière des compréhenseurs. Mais n’étant pas substantiellement unie à la Divinité, l’âme de la très-sainte Mère ne put aussitôt jouir de ce privilège, parce qu’elle venait en qualité de voyageuse. Néanmoins, comme dans cette condition elle était la plus immédiate à l’union hypostatique, elle eut encore une autre vision analogue à la vision béatifique, inférieure à celle de Jésus-Christ, mais supérieure à toutes les visions et révélations de la Divinité, dont les autres créatures ont jamais été favorisées, si l’on excepte sa claire vision et sa jouissance. Toutefois, cela n’empêcha pas que la vision de la Mère de Jésus-Christ obtint de la Divinité dans son premier instant, ne surpassât sous certains rapports la claire vision de plusieurs bienheureux, en ce qu’elle y connut plus de mystères abstractivement, que quelques saints n’en connaissent par la vision intuitive. Du reste, si elle ne vit pas la Divinité face à face au temps de sa conception, elle ne laissa pas de La voir ensuite plusieurs fois durant le cours de sa vie, comme je le rapporterai en continuant son histoire.

 

 

 

 

 

 

 

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