Instruction de la Vierge relativement aux quatre voeux religieux

Publié le par lepontdusalut

INSTRUCTION DE LA VIERGE RELATIVEMENT AUX QUATRE VŒUX RELIGIEUX

 

 

 « Je ne veux point vous refuser, ma fille, les leçons que vous me demandez avec intention de vous y conformer ; recevez-les avec estime, dévotion et docilité. Le Sage dit : « Mon fils, si vous avez promis pour votre ami, vous avez engagé votre main à un étranger, vous vous êtes lié par votre bouche, et vous avez été pris par vos paroles. »

Selon cette vérité, celui qui a fait un vœu à Dieu a cloué la main de sa propre Volonté, pour n’être plus libre de faire autre chose que ce qu’il a promis, et pour suivre en tout la Volonté et le bon Plaisir de Celui envers qui il est irrévocablement obligé par sa propre bouche, et par les paroles de sa profession. Il avait, avant de faire vœux, le droit de choisir le chemin qu’il voulait ; mais quand une fois l’âme du religieux s’est liée et engagée, elle a perdu entièrement sa liberté, puisqu’elle en fait le sacrifice à Dieu entre les mains de son supérieur. Le Salut ou la perte des âmes dépend de leur liberté ; mais, comme la plupart se perdent par le mauvais usage qu’elles en font, le Seigneur a établi l’état religieux pour les fixer dans le Bien par le moyen des vœux, afin que la créature, faisant une fois, dans l’exercice de sa pleine liberté, un choix sage et prudent, consacre au Très-Haut par un seul acte ce qu’elle perdrait en plusieurs, si elle était libre encore de vouloir et de ne pas vouloir.

 

On perd heureusement par ces vœux la liberté pour le mal, et on l’assure pour le bien, comme par une bride qui détourne du danger et conduit par le meilleur chemin ; l’âme échappe ainsi à la servitude de ses propres passions, elle acquiert sur elles un nouvel empire, et s’en rend la maitresse absolue dans son économie intérieure. Dans cet heureux état, elle n’est subordonnée qu’à la Grâce et aux mouvements du Saint-Esprit, qui dirige toutes ses opérations, pourvu qu’elle n’use de sa volonté qu’afin de pratiquer ce qu’elle a promis à Dieu. Alors la créature passe de la honte de la servitude à l’éminente dignité de fille de Dieu, et de son état terrestre à un état angélique ; et, sous la conduite du Saint-Esprit, elle s’affranchit du péché, de ses funestes effets et de ses terribles punitions. Il n’est pas possible que vous compreniez dans la vie mortelle combien une âme qui s’efforce d’accomplir parfaitement les vœux de sa profession, acquiert de faveurs et de trésors spirituels. Mais je vous assure, ma fille, que les parfaites religieuses peuvent amasser autant et même plus de mérites que les martyrs.

 

Vous êtes entrée, ma fille, en possession des prémices de tant de biens, le jour où vous avez choisi la meilleure part ; mais n’oubliez pas que ce jour-là vous vous êtes liée envers un Dieu éternel et puissant, qui pénètre ce qu’il y a de plus caché dans les cœurs. Que si manquer de parole aux créatures terrestres, et ne point s’acquitter des justes promesses qu’on leur a faites, est une chose si noire et si odieuse à la simple raison, que sera-ce d’être infidèle à Dieu dans les promesses les plus justes et les plus saintes ! En qualité de Créateur, de Conservateur et de Bienfaiteur de votre être, vous Lui devez la reconnaissance ; en qualité de Père, le respect ; en qualité d’Epoux, la fidélité ; et en qualité d’Ami, un constant retour. Vous Lui devez la foi et l’espérance, parce qu’Il est très fidèle ; l’amour, parce qu’Il est le Bien Souverain et éternel ; la soumission, parce qu’Il est Tout-Puissant ; et une humble et sainte crainte, parce qu’Il est le plus équitable des juges. Or vous ne sauriez transgresser ce que vous avez promis en votre profession, sans trahir indignement les devoirs que vous imposent ces titres et tant d’autres. Que s’il est toujours horrible de voir des religieuses, et qui s’appellent épouses de Jésus-Christ, devenir néanmoins membres et esclaves du démon, de quelle honte votre trahison ne vous couvrirait-elle pas, vous qui avez reçu plus de faveurs que toutes les autres, et qui par conséquent les devez toutes surpasser en amour, en générosité et en reconnaissance !

 

Comprenez, ô âme, combien un pareil crime vous rendrait odieuse au Seigneur, à moi, aux anges et aux saints, qui sommes tous témoins de l’amour et de la fidélité que vous a montrés le Très-Haut, en qualité d’Epoux très riche, très tendre et très libéral. Tâchez donc de faire tous vos efforts pour ne Le jamais offenser en rien ; ne Le forcez pas de vous abandonner aux suites affreuses du péché, puisque vous savez que ce serait là pour vous un plus grand malheur et un châtiment plus rigoureux que s’Il vous exposait à la fureur des éléments, à la cruauté des animaux les plus farouches et à la rage même des démons, à tous les supplices que les hommes pourraient vous faire, comme à autant d’exécuteurs de sa Justice. Oui, ma fille, tout cela vous serait un moindre mal, que de commettre un seul péché véniel contre Dieu, contre Celui que vous devez servir et aimer toujours. Toutes les peines de ce monde sont moindres que le péché, parce qu’elles finissent avec la vie mortelle, tandis que le péché peut être éternel, et que par conséquent la punition qu’il entraine peut aussi n’avoir pas de fin.

 

Les mortels craignent beaucoup les peines et les afflictions de la vie présente, parce qu’elles leur sont sensibles ; mais le péché ne les afflige nullement, parce que, n’étant touchés que de ce qui frappe leurs sens, ils n’aperçoivent point la peine éternelle de l’enfer qui le suit de si près. Et quoique cette même peine soit inséparable du péché, le cœur de l’homme est si appesanti, que, se laissant enivrer de son crime, il ne lui reste aucune intelligence pour en considérer la punition, parce que l’enfer ne lui ni présent ni sensible. Et quand il pourrait le voir et le toucher par la foi, il lui ferme les yeux ; sa foi est morte, comme si elle n’existait pas. O aveuglement déplorable des hommes ! Ô funeste négligence, combien d’âmes capables de raison et de gloire ne perds-tu pas honteusement ! Il n’est point de paroles assez expressives pour dépeindre un pareil malheur. Ma fille, préservez-vous d’un si dangereux état par la sainte crainte du Seigneur ; plutôt que de vous y exposer, supportez toutes les peines et toutes les afflictions de la vie présente, qui est si courte, et songez que rien ne vous manquera tant que vous ne perdrez point Dieu. Ce sera un puissant moyen pour vous affermir dans le bien que d’être persuadée qu’il n’y a point de petites fautes dans votre état. Vous devez craindre beaucoup les moindres manquements, parce que le Seigneur sait qu’en méprisant les fautes légères, la créature ouvre son coeur à d’autres fautes plus graves ; et certes, l’amour de celui qui n’appréhende pas de déplaire en quoi que ce soit à la personne qu’il aime, est fort imparfait.

 

L’ordre que les religieux et les religieuses doivent observer dans leurs bons désirs est celui-ci : il faut, en premier lieu, qu’ils accomplissent ponctuellement les obligations de leurs vœux et pratiquent toutes les vertus qu’ils renferment. Ensuite ils peuvent s’adonner aux œuvres volontaires qu’on appelle surérogation. Il y en a plusieurs qui, trompés par le démon et cédant à un zèle indiscret et contraire à la perfection, renversent cet ordre, et qui, tandis qu’ils négligent, en matière grave, des devoirs essentiels de leur état, veulent y ajouter des choses facultatives, souvent inutiles, qu’inspire seulement un esprit de présomption et de singularité. Car ils visent à se distinguer des autres par plus de ferveur et de zèle, quand ils ne font que s’éloigner des principes de la perfection. Je ne veux point, ma fille, que vous tombiez dans une si lourde faute ; au contraire, je veux que vous commenciez pour vous acquitter de toutes les obligations de vos vœux et de la vie commune, et que vous ajoutiez ensuite ce que vous pourrez avec la Grâce de Dieu et selon vos forces, parce c’est en observant cet ordre que l’âme s’embellit, se perfectionne et se rend agréable aux yeux de son Créateur.

 

Le vœu d’obéissance est le plus grand de la religion, parce qu’il renferme un renoncement entier à la volonté propre ; de sorte que la religieuse n’a plus aucune juridiction ni aucun droit sur elle-même. Elle ne peut plus dire je veux, ou je ne veux pas, je ferai, ou je ne ferai pas ; elle a renoncé à tout cela par l’obéissance qu’elle a promise à son supérieur. Si vous voulez accomplir ce vœu, il ne faut pas que vous fassiez la sage envers vous-même, ni que vous vous imaginiez d’être maitresse de vos inclinations, de vos sentiments et de votre volonté ; car la véritable obéissance doit ressembler à la foi. Il faut qu’elle estime, respecte et adopte ce que le supérieur ordonne, sans prétendre ni l’examiner ni le comprendre. Ainsi, pour obéir avec perfection et avec mérite, vous devez vous croire sans raison et sans vie, et vous considérez comme un corps mort, qui se laisse remuer et traiter comme l’on veut ; que si dans cet état il vous reste quelque mouvement, vous ne le devez employer que pour exécuter avec plus de diligence tout ce que le supérieur vous prescrira. Ne vous préoccupez jamais de ce que vous aurez à faire ; pensez seulement à la manière dont vous vous acquitterez de ce qu’on vous commandera. Sacrifiez votre propre volonté, étouffez toutes vos convoitises et toutes vos passions ; et après que vous aurez par une résistance énergique et efficace refoulé toutes vos impulsions personnelles, faites que l’obéissance soit l’âme et la vie de toutes vos œuvres. Il faut qu’on trouve toutes vos pensées, toutes vos paroles, toutes vos actions et votre volonté elle-même dans la volonté de votre supérieur. Demandez donc qu’on vous ôte en toutes choses votre être propre, et qu’on vous en donne un autre tout nouveau. Tâchez de n’avoir rien à vous, et que tout en vous procède de l’obéissance sans aucune contradiction ni résistance.

 

N’oubliez pas que la manière la plus parfaite d’obéir est celle qui ne donne au supérieur aucun motif de remarquer la moindre contrariété qui lui puisse déplaire ; car on doit lui obéir avec satisfaction et promptitude, sans répliquer ni murmurer, mais en lui donnant, au contraire, des marques agréables qu’on fait volontiers ce qu’il ordonne. Les supérieurs tiennent la place de Dieu, et en leur obéissant on obéit au Seigneur, qui est en eux, qui les dirige, et qui les éclaire en ce qu’ils prescrivent à leurs inférieurs, pour le bien de leurs âmes et pour leur Salut. De même, le mépris que l’on fait des supérieurs s’adresse à Dieu, qui par eux et en eux vous manifeste sa Volonté (Luc, X, 16). Il faut que vous soyez bien persuadée que Dieu fait parler votre supérieur, ou qu’Il parle par sa bouche. Tâchez donc, ma fille, de devenir obéissante, afin que vous puissiez proclamer vos victoires (Prov., XXI, 28). Ne craignez rien en obéissant, car ce chemin-là est tellement sûr, que Dieu ne grave point dans sa mémoire les fautes des obéissants pour les leur imputer au jour du Jugement, et qu’Il leur pardonne, au contraire, avec facilité leurs autres manquements, à cause du sacrifice de l’obéissance. Mon Très-Saint Fils a offert avec une particulière affection sa Passion et sa très-précieuse mort au Père éternel pour les obéissants, afin qu’ils fussent privilégiés dans le Pardon et la Grâce, et afin qu’ils ne s’égarassent point, mais qu’ils se perfectionnassent par chacune de leurs actions. Maintenant encore il représente maintes fois à son Père, en intercédant pour les hommes, qu’il a été obéissant pour eux jusqu’à la mort de la Croix (Phil., II, 8). Enfin le Seigneur agréa tellement l’obéissance d’Abraham et de son fils Isaac, que, non content d’empêcher qu’un fils qui s’était montré obéissant mourût, Il voulut en faire l’ancêtre du Verbe incarné, et le choisit entre tous les autres pour être le chef et le fondement de tant de bénédictions.

 

Le vœu de pauvreté est une généreuse décharge du pesant fardeau des choses temporelles ; c’est un repos d’esprit, un soulagement de la faiblesse humaine, et le noble affranchissement d’un cœur digne des biens éternels et spirituels. C’est encore un saint assouvissement qui fait cesser l’appétit désordonné des choses terrestres, et procure en même temps la jouissance des Trésors Divins. Tout cela, ma fille, et d’autres bien plus grands se trouvent renfermés dans la pauvreté volontaire ; et si la plupart des hommes ne les estiment pas, c’est parce que les enfants du siècle, les amateurs des richesses périssables et les ennemis de la riche et sainte pauvreté en sont privés et n’ont pas le bonheur de les connaitre. Loin de sentir combien le fardeau des richesses est intolérable, ils se courbent dessous jusqu’aux entrailles de la terre, pour y chercher avec des difficultés, des sueurs et des travaux infinis, cet or et cet argent dont la possession leur fait perdre la raison et les rend semblables aux brutes, qui ignorent ce qu’elles font et ce qu’elles souffrent. Or si les richesses coûtent tant à acquérir, que ne coûteront-elles pas à conserver ! Qu’ils le disent ceux qui sont tombés dans les enfers avec ce funeste fardeau ; qu’elles le fassent comprendre, les cruelles inquiétudes qu’on éprouve de perdre ces biens quand on les possède ; et enfin, qu’elles l’attestent, les lois rigoureuses qu’ils ont fait établir parmi les hommes.

 

Si toutes ces apparences trompeuses éblouissent l’esprit, accablent sa faiblesse et ravalent cette âme si noble faite pour aspirer aux biens éternels et à Dieu, il n’y a point de doute que la pauvreté volontaire ne replace la créature à la hauteur de son rang, ne la délivre de sa servitude honteuse, et ne la mette en possession de cette liberté Divine dans laquelle elle fut créée pour être maitresse de toutes choses. Elle ne les possède jamais mieux que par le mépris qu’elle en fait ; quand elle les distribue ou qu’elle les abandonne volontairement, elle en fait un plus excellent usage ; et quand elle se plait dans la privation des richesses, elle étouffe par là même l’appétit concupiscible, et elle tient son cœur tout disposé à recevoir les Trésors de la Divinité, pour lesquels il a été créé avec une capacité presque infinie.

 

Je souhaite, ma fille, que vous vous appliquiez beaucoup à l’étude de cette Science Divine, que le monde affecte tant d’ignorer, et non seulement le monde, mais aussi bien des religieux qui ont promis à Dieu de la pratiquer, et qui s’attirent par leur manque de parole toute l’indignation du Seigneur. Les transgresseurs de ce vœu ne prennent pas garde au châtiment très rigoureux qui leur est infligé à l’instant même ; car en bannissant la pauvreté volontaire, ils éloignent sur-le-champ d’eux-mêmes l’Esprit de mon Très-Saint Fils Jésus-Christ, et celui que nous sommes venus enseigner aux hommes en donnant l’exemple de la plus stricte pauvreté. Mais s’ils ne s’en aperçoivent pas aussitôt, c’est parce que le juste Juge dissimule pendant qu’ils jouissent de l’abondance qu’ils désirent, et ils se trouveront singulièrement confus et désabusés dans le jugement qui leur est réservé, alors qu’ils subiront des rigueurs qu’ils ne s’attendent pas à rencontrer en la Justice Divine.

 

Dieu a créé les biens temporels seulement pour qu’ils servent aux hommes à se conserver la vie ; ce but atteint, ils cessent d’être nécessaires. Mais la vie est courte, elle s’écoule rapidement et a besoin de peu de choses, tandis que l’âme subsiste éternellement. Est-il donc juste que les hommes ne donnent à leur âme que des soins momentanés et comme en passant, et que, pour acquérir des richesses périssables, ils se livrent à des soucis éternels ? C’est une grande perversité d’avoir renversé les fins et les moyens dans une affaire si importante ; il faut que l’homme soit bien aveugle pour consacrer tous ses soins, toutes ses peines, toutes ses pensées et tout son temps à la vie fugitive et incertaine du corps, et pour ne vouloir donner à sa pauvre âme, en plusieurs années, qu’une heure à peine, et souvent, hélas, la dernière et la pire de toutes.

 

Profitez donc, ma très chère fille, de la précieuse lumière et de l’avis charitable que le Seigneur vous transmet, pour vous empêcher de tomber dans une faute si dangereuse. Renoncez à l’amour des choses terrestres ; et quand même il vous semblerait que certaines de ces choses manquent à votre monastère, ne mettez point, sous prétexte de nécessité, trop d’empressement à les lui procurer. Puis, une fois que vous y aurez apporté tous les soins convenables, gardez-vous bien de vous troubler si ce que vous attendez ne vous arrive pas, ou de le désirer avec passion, le crussiez-vous nécessaire pour le service de Dieu ; car l’amour que vous lui portez diminue à mesure que vous prétendez d’aimer quelque autre chose avec lui. Vous devez regarder le trop comme superflu et inutile, et y renoncer comme à un crime ; et le peu même, l’estimer peu, car pourquoi embarrasser son cœur de ce qui ne vaut rien et qui pourrait néanmoins distraire beaucoup ? Si vous obteniez ce que vous croyez vous être nécessaire, vous n’êtes pas véritablement pauvre, puisque le propre de la pauvreté est de manquer de quelque chose dans le besoin ; on appelle seulement riche celui à qui rien ne manque, parce que le superflu préoccupe plutôt qu’il n’accommode, et n’est qu’une pure affliction d’esprit. Et le désirer ou le garder sans en faire usage, c’est une pauvreté sans quiétude et sans repos.

 

Je veux que vous ayez cette liberté d’esprit de ne vous attacher à aucune chose, grande ou petite, superflue ou nécessaire. Quant à ce dont vous aurez besoin pour votre entretien, vous n’en devez prendre que la quantité absolument nécessaire pour vous empêcher de mourir et pour vous vêtir décemment, vous servant toujours, pour votre mise, des étoffes les plus pauvres, des habits les plus rapiécés, et pour votre nourriture, des mets les plus communs. Loin d’avoir à cet égard des délicatesses ou des caprices, contentez-vous-même de ce qui est le moins conforme à votre goût, sans demander autre chose, afin que vous puissiez de la sorte mortifier vos désirs, réprimer vos appétits, et pratiquer toujours ce qu’il a de plus parfait.

 

Le vœu de chasteté comprend la pureté de l’âme et la pureté du corps. Il est facile de la perdre, et difficile ou même impossible de la réparer, selon les manières dont on la perd. Ce précieux trésor est mis en dépôt dans un château qui a un grand nombre de portes et de fenêtres ; et si elles ne sont ni bien gardées, ni bien défendues, il n’est pas en sûreté. Vous n’observerez parfaitement ce vœu, ma fille, qu’autant que vous ferez un pacte inviolable avec vos sens, afin de ne vous en servir que suivant les exigences de la raison et pour la Gloire du Créateur. Les sens étant morts, il vous sera facile de remporter la victoire sur des ennemis qui ne peuvent vous vaincre que par leurs secours. En effet, les pensées ne reviennent à la charge et ne sauraient se présenter, qu’à moins que les images des choses visibles qui les fomentent n’entrent par les sens extérieurs. Vous ne devez ni toucher ni regarder aucune créature humaine, quel que soit son sexe, ni même discourir avec personne, de peur que des souvenirs profanes n’occupent votre imagination. La conservation de cette pureté que j’exige de vous dépend de cette précaution, que je vous recommande beaucoup ; que si la charité ou l’obéissance (seuls motifs que vous deviez admettre) vous obligent de parler, ce doit toujours être avec toute la gravité, la modestie et la circonspection possible.

 

Vivez avec vous-même comme n’étant point du monde, pauvre, mortifiée, affligée, et aimant les amertumes de la vie sans en désirer le repos ni les douceurs, vous considérant comme dans un pays étranger, où vous avez été conduite pour travailler et pour lutter contre de puissants ennemis. Or, comme la chair est le plus formidable de tous, il faut que vous fassiez tous vos efforts pour résister à vos passions naturelles et aux tentations du démon. Elevez-vous au-dessus de vous-même, construisez-vous une demeure dans les régions supérieures, afin de vivre à l’ombre de Celui que vous désirez (Cant., II, 3), et de jouir, sous sa Protection, d’une véritable tranquillité. Abandonnez-vous entièrement à son Chaste et Saint Amour, sans croire qu’il y ait d’autres créatures que celles qui vous aident et vous obligent à aimer et servir votre Seigneur. Les autres vous doivent être en horreur.

 

Quoique la religieuse qui porte le titre d’épouse de Jésus-Christ, et qui fait profession de toutes les vertus, doive les posséder toutes, la chasteté est certainement celle qui la rapproche le plus de son Epoux ; parce qu’en l’arrachant à sa corruption naturelle, elle la spiritualise et la fait participer à la condition des anges, et même en quelque sorte à la Vie de Dieu. C’est une vertu qui embellit toutes les autres, qui élève le corps à un état supérieur, illumine l’entendement, et conserve aux âmes cette noblesse native, qui est au-dessus de tout ce qui est corruptible. C’est parce que cette vertu fut un fruit spécial de la Rédemption, mérité par mon Très-Saint Fils mourant sur la Croix, où il effaça les péchés du monde, qu’il est dit que les vierges accompagnent l’Agneau (Apoc., XIV, 4).

 

Le vœu de clôture est le rempart de la chasteté et de toutes les vertus, le chaton où elles se maintiennent dans tout leur éclat ; c’est aussi le privilège du Ciel pour exempter les religieuses, épouses de Jésus-Christ, des lourds et funestes tributs que le monde, avec sa liberté, paie au prince de ses vanités. Au moyen de ce vœu, les religieuses vivent dans un port assuré, pendant que les autres âmes sont agitées, et bien souvent submergées dans la tourmente des occasions périlleuses. La clôture ne doit pas paraître un lieu trop borné, puisqu’elle offre de pareils avantages, et que les religieuses y peuvent jouir du champ immense des Vertus et de la Connaissance de Dieu, de ses Perfections infinies, de ses ineffables Mystères, et de ses Œuvres merveilleuses qu’Il a faites et qu’Il opère tous les jours pour les hommes. On peut et l’on doit se promener et se récréer dans ces vastes domaines ; autrement, la plus grande liberté paraitra une étroite prison. Je veux, ma fille, que vos pensées et vos désirs s’étendent au-delà des limites du monde. Gravissez les hauteurs de la Connaissance de Dieu et de son Amour, où vous puissiez vivre en pleine liberté, sans qu’aucune chose ne vous borne. Et là vous verrez que la terre entière est bien trop étroite, trop vile et trop méprisable, pour que vous y renfermiez votre âme.

 

Ajoutez à cette clôture du corps à laquelle vous vous êtes obligée, celle de vos sens, afin de défendre et de sauvegarder, comme par autant de forts, votre pureté, et en elle le feu du Sanctuaire, que vous devez entretenir de sorte qu’il ne s’éteigne jamais (Lévitique, VI, 12). Or, pour mieux surveiller vos sens et profiter de la clôture, n’abordez jamais la porte, ni la grille, ni les fenêtres, et ne vous souvenez pas même qu’il y en ait dans le monastère, à moins que votre charge ou l’obéissance ne vous obligent au contraire. Ne désirez point ce qu’il ne vous est pas permis de posséder, et ne vous empressez nullement pour ce que vous ne devez pas désirer. Vous trouverez le Bien et la Paix, ainsi que mes faveurs, dans votre retraite et dans votre circonspection. Profitez de mes avis, et vous obtiendrez le riche fruit et le prix inestimable de l’amour et de la grâce que vous ambitionnez. »

 

 

Commentaire

 

Même si les recommandations de notre Reine et Mère du Ciel s’adressent en priorité à une « sainte d’exception », on sort abasourdi devant tant d’exigences si contraires aux tentations pestilentielles de ce pitoyable monde moderne, dont les mensonges mortels ne cessent d’infecter nos âmes, et dont les excès d’une grotesque vanité ne sauraient tarder d’éclater, tels des chancres sur un visage monstrueux, difforme et diabolique.

 

Créateur, Seigneur et Sauveur, ayez pitié de nous !

Vincent

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