Suite des souffrances de la Vierge et tentations du serpent

Publié le par lepontdusalut

La Cité Mystique de Dieu.

 

Tome II - Chapitre XVIII.

 

On y continue le récit de quelques autres afflictions de notre Reine, dont il se trouvait quelques-unes que Dieu permit par le moyen des créatures et de l'ancien serpent.  

 

Marie d’Agréda dit :

 

Le Très-Haut continuait de se cacher à la Princesse du ciel, joignant à cette affliction (qui était la plus grande) plusieurs autres, afin d'augmenter en elle le mérite, la grâce et la couronne, en embrasant toujours plus son très-chaste Amour. Le grand dragon, l'ancien serpent Lucifer, était attentif aux oeuvres héroïques de la très-sainte Vierge ; et, quoiqu'il ne pût pas être témoin oculaire des intérieures, parce qu'elles lui étaient cachées, il prenait néanmoins un grand soin d'en découvrir les extérieures, qui étaient si hautes et si parfaites, qu'elles suffisaient pour tourmenter l'orgueil et l'indignation de cet ennemi envieux, parce que la pureté et la sainteté de la jeune Marie l'offensaient au delà de tout ce qu'on en peut dire. 

 

Poussé par cette fureur, il assembla un conciliabule dans l'enfer, pour consulter sur cette affaire les plus qualifiés d'entre les esprits de ténèbres ; et, les ayant convoqués, il leur tint ce discours :

« Je crains que le grand triomphe que nous nous sommes acquis jusqu'à présent dans le monde par la possession de tant d'âmes que nous y soumettons à notre volonté, ne soit abattu et humilié par une femme ; nous ne pouvons ignorer ce danger, puisque nous l'avons connu dans notre création, et qu'ensuite la sentence nous a été prononcée, que la femme nous écraserait la tête. Ainsi il nous faut être sur nos gardes et ne nous pas négliger. Vous avez eu déjà connaissance des grandes perfections d'une fille qui est née d'Anne, et qui, croissant en âge, croît aussi en toutes sortes de vertus j'ai considéré avec attention toutes ses actions, ses mouvements et ses oeuvres, et je n'y ai pas pu découvrir, dans le temps auquel les passions naturelles se font communément ressentir, les moindres effets de notre mauvaise semence et-de notre malice victorieuse, comme dans les autres enfants d'Adam. Je la vois toujours modeste et très-parfaite, sans la pouvoir porter ni réduire aux puérilités peccamineuses et humaines ou naturelles des autres enfants ; c'est pourquoi toutes ces marques me font douter et craindre en même temps qu'elle ne soit l'élue pour être la Mère de Celui qui se doit faire homme. » 

 

« Mais je ne puis me persuader que cela soit, puisqu'elle est née comme les autres, soumise aux lois communes de la nature ; ses parents ont fait des prières et des offrandes pour eux et pour elle, afin que le péché leur fût pardonné, ayant même été portée au Temple comme les autres filles. Néanmoins, bien qu'elle ne soit point l'élue, elle a pourtant dans son enfance de grands principes qui nous menacent, et qui promettent une vertu et une sainteté distinguée ; je ne puis supporter ses manières si prudentes et si discrètes. Sa sagesse me tourmente, sa modestie m'irrite, sa patience me choque, et son humilité me détruit et m'opprime ; enfin tout ce qui est en elle me jette dans une fureur qui m'est insupportable, et j'ai plus d'horreur pour elle que pour tous les autres enfants d'Adam. Elle a une certaine vertu singulière qui m'empêche de l'approcher ; et si je lui envoie des tentations, elle les rejette, de sorte que tous mes soins envers elle ont été jusqu'à présent inutiles et sans effet. Il nous faut remédier à ceci et y employer tous nos efforts, si nous voulons éviter la ruine de notre monarchie : je désire plus la perte de cette seule âme que de tout le monde ensemble. Dites-moi donc maintenant, quels moyens et quelles mesures prendrons-nous pour la vaincre et pour en venir à bout ? Car je promets de récompenser celui qui y réussira par des effets les plus grands de ma libéralité. » 

 

La chose fut discutée dans cette confuse synagogue, qui n'est jamais d'accord que pour notre dommage ; et, entre plusieurs avis qu'on y donna, un de ces horribles conseillers dit :

« Notre prince et seigneur, ne vous tourmentez pas pour une affaire de si peu de conséquence, car il n'est pas possible qu'une faible et jeune fille soit aussi invincible et puissante que nous tous, qui vous suivons. Vous avez trompé Ève en la faisant déchoir de l'état heureux où elle était, et par elle vous avez vaincu Adam, son chef. Or, comment ne vaincrez-vous pas cette enfant, leur descendante, qui est née après leur première chute? Promettez-vous dès maintenant cette victoire, et, pour l'obtenir, déterminons-nous à la tenter avec persévérance et à ne perdre point courage, quoiqu'elle y résiste plusieurs fois ; et s'il faut que nous dérogions en quelque chose à notre grandeur et présomption, que cela ne nous arrête point, pourvu que nous venions à bout de la tromper ; et si cela ne suffit, nous tâcherons de lui faire perdre l'honneur et la vie. 

 

Ensuite il y eut d'autres démons qui dirent à Lucifer :

« Nous avons expérimenté, ô grand prince, que c'est un puissant moyen de nous servir des autres créatures pour précipiter plusieurs âmes ; cette voie est la plus efficace pour opérer ce que nous ne pouvons par nous-mêmes : c'est par là que nous tramerons la ruine de cette femme, observant, pour y réussir, le temps et les conjonctures les plus propres qu'elle nous présentera par sa conduite. Et surtout il nous importe d'employer tout notre savoir pour lui faut perdre une fois la grâce par quelque péché, et, lorsqu'elle sera privée de ce secours et de cette protection des justes, nous la persécuterons et la vaincrons ; car étant seule, elle ne se pourra pas délivrer de nos mains ; et ensuite nous tâcherons de la jeter dans le désespoir du pardon. » 

 

Lucifer agréa les avis que lui donnèrent ses sectateurs et coopérateurs de la méchanceté, et commanda aux plus savants en malice de l'accompagner, se constituant de nouveau le chef d'une entreprise si difficile, car il ne la voulut confier qu'à sa propre conduite ; et bien que Lucifer fût assisté par d'autres démons, néanmoins il se trouva toujours le premier à tenter Marie et son très-Saint Fils lorsqu'il fut dans le désert, et dans tout le cours de leur vie, comme nous le verrons en continuant celle-ci. 

 

Cependant notre auguste Princesse continuait dans les afflictions et dans la douleur de l'absence de son Bien-Aimé, lorsque cette troupe infernale l'assaillit de tout côté pour la tenter. Mais la Vertu Divine qui la protégeait empêcha les efforts de Lucifer, afin qu'il ne pût s'en approcher de trop près ni exécuter tout ce qu'il projetait ; néanmoins, par la permission du Très-Haut, ils attaquaient les puissances de son âme de quantité de troubles remplis de malice et d'iniquité, parce que le Seigneur voulut bien permettre que la Mère de la Grâce fût aussi tentée en toute manière, sans aucun péché pourtant, comme son très-Saint Fils le devait être dans la suite. 

 

On ne saurait concevoir ce que le coeur de Marie souffrit dans ce nouveau combat, se voyant environnée de tentations si étranges et si éloignées de sa sainteté ineffable et de la sublimité de ses divines pensées. Et comme l'ancien serpent reconnut notre très-sainte Dame affligée et tout en pleurs, il prétendit par là d'avoir fort avancé ses affaires, aveuglé qu'il était de son orgueil, et parce qu'il ignorait le secret du Ciel. Mais, animant ses ministres infernaux, il leur dit : « Poursuivons, poursuivons-la maintenant, car il semble que nous venons déjà à bout de nos intentions ; elle est plongée dans la tristesse, grand chemin du désespoir. »

 

Et dans cette erreur où ils étaient, ils lui envoyèrent de nouvelles tentations de crainte et de méfiance, et l'attaquèrent sans relâche, quoique toujours en vain ; car plus on frappe la pierre de la généreuse vertu, plus elle envoie d'étincelles et de feu du Divin Amour. Notre invincible Reine fut si supérieure et si immobile aux attaques de l'enfer, que son intérieur n'en ayant pas pu être troublé ni même ébranlé, elles ne servirent que pour la fortifier davantage dans le retranchement de ses vertus incomparables, et pour faire élever toujours plus la flamme du Divin embrasement d'Amour qui brûlait dans son coeur. 

 

Comme le dragon ignorait la sagesse et la prudence cachée de notre Princesse, quoiqu'il la reconnût forte et inébranlable dans ses puissances, et ressentit la résistance de la Vertu Divine, son ancien orgueil persévérait néanmoins, attaquant la Cité de Dieu par des manières diverses et par de différentes batteries. Mais, bien que l'ennemi rempli de ruses mît en usage toutes ses machines avec autant de vigueur que d'artifice, elles ne firent pourtant non plus d'effet que celles d’une faible fourmi contre un mur de diamant. Notre Princesse était la femme forte à laquelle le Cœur de son Époux pouvait se fier, sans crainte d'être trompé dans ses désirs. La force, la pureté et la charité dont elle était armée, embellie et revêtue, lui servaient d'ornement. Le superbe et immonde serpent ne pouvait supporter cet objet, dont la vue l'éblouissait et le troublait par une nouvelle confusion ; ainsi il se détermina à lui ôter la vie, animant toute cette troupe de malins esprits à faire leurs derniers efforts pour en venir à bout. Ils employèrent quelque temps à cette entreprise, qui fut aussi vaine que les autres. 

 

La connaissance d'un mystère si caché m'a causé une grande admiration, considérant jusqu'où la fureur de Lucifer s'étendit contre la très-sacrée Vierge dans ses premières années ; et, par un autre endroit, la secrète et vigilante protection du Très-Haut pour la défendre. Je vois combien le Seigneur était attentif à protéger son Épouse, son Élue et son unique entre les créatures, et je regarde en même temps tout l'enfer converti en fureur contre elle, pour lui faire ressentir les prémices de la plus grande indignation qu'il eût exercée jusqu'alors envers aucune autre créature, et avec quelle facilité le Pouvoir Divin dissipe tous le efforts et tous les artifices infernaux. O plus qu'infortuné et misérable Lucifer, combien la grandeur de ton orgueil et de ta témérité surpasse-t-elle celle de ta force ! Tu es trop faible et trop petit pour une si extravagante présomption ; commence de te défier de toi-même, et ne te promets point tant de triomphes, puisqu'une jeune et tendre fille t'a écrasé la tète et t'a vaincu en toutes les manières ; avoue que tu vaux peu de chose, et que tu n'en sais pas davantage, puisque tu as ignoré le plus grand Secret du Roi, et que son pouvoir t'a humilié par l'instrument que tu méprisais le plus, qui est une jeune et faible fille par sa propre nature. Oh! Que ton ignorance serait grande si les mortels se prévalaient de la protection du Très-Haut, de l'exemple, de l'imitation et de l'intercession de cette victorieuse et triomphante Reine des anges et des hommes.

 

La très-forte et très jeune Marie était dans de continuelles et ferventes prières parmi ces successives tentations et ces combats obstinés ; elle y disait au Seigneur :

 

« A cette heure, mon Dieu, que je suis dans la tribulation, Vous serez avec moi ; à cette heure que je Vous invoque de tout mon coeur et que je cherche vos Justifications, Vous exaucerez mes demandes ; maintenant que je souffre de si grandes violences, Vous répondrez pour moi. Vous êtes mon Seigneur et mon Père, ma Force et mon Refuge ; Vous me tirerez par votre Saint Nom du danger, Vous me conduirez par le chemin assuré, et m'entretiendrez comme votre fille. »

 

Elle rappelait aussi dans son esprit plusieurs mystères de la sainte Écriture, et singulièrement les psaumes qui parlent contre les ennemis invisibles, et c'est par ces armes invincibles quelle combattait et vainquait Lucifer, avec des complaisances inconcevables du Seigneur, et de très-grands mérites pour elle, sans perdre en la moindre chose la paix, la fermeté et la tranquillité intérieure, auxquelles elle se fortifiait toujours plus, ayant sans cesse son très-pur esprit dans les hauteurs célestes. 

 

Après avoir triomphé de ces tentations, elle commença d'entrer dans un nouveau combat, que le serpent lui livra par l'entremise des créatures, et cet esprit malicieux envoya pour cela quelques étincelles d'envie et d'émulation contre la très-sainte Vierge dans le coeur de ses compagnes qui se trouvaient dans le Temple. Le remède de ce poison était d'autant plus difficile, qu'il procédait de la ponctualité avec laquelle notre auguste Princesse s'avançait à l'exercice de toutes les vertus, croissant en sagesse et en grâce devant Dieu et devant les hommes ; car, où l'ambition de l'honneur pique, les lumières mêmes de la vertu aveuglent le jugement, et y allument ensuite la flamme de l'envie. Le dragon suscitait à ces pauvres, filles plusieurs pensées qui leur persuadaient qu'en vue des vertus éclatantes de la très-pure Marie, elles étaient obscurcies et peu estimées ; que leurs propres négligences y étaient mieux connues de la maîtresse et des prêtres, et que la seule Marie serait préférée de chacune dans toutes les occasions. 

 

Les compagnes de notre Reine ouvrirent leur coeur à cette mauvaise semence et la laissèrent croître, comme imprudentes et peu exercées qu'elles étaient dans les combats spirituels, jusqu'à ce qu'elle fût changée en une aversion intérieure contre la très-pure Marie. Cette haine passa à l'indignation, avec laquelle elles la voyaient et la fréquentaient, ne pouvant supporter la modestie de cette innocente colombe, parce que le dragon incitait ces filles mal avisées, les revêtant de la même fureur qu'il avait conçue contre la Mère des vertus. La tentation se fortifiant toujours plus, ne tarda pas à éclater par les effets ; ces filles vinrent à se la communiquer entre elles, ignorant de quel esprit elles étaient prévenues, et dans cette conférence elles résolurent d'inquiéter et de persécuter la Reine de l'Univers, qu'elles ne connaissaient pas, jusqu'à prétendre de la faire chasser du Temple, et l'ayant tirée à part, elles lui dirent des paroles fort rudes, la traitant d'une manière fort hautaine, de brouillonne, d'hypocrite, et qu'elle ne songeait qu'à acquérir par ses artifices les bonnes grâces de la maîtresse et l'approbation des prêtres, et à leur rendre toutes sortes de mauvais offices par ses murmures, exagérant même les moindres fautes qu'elles faisaient, ne considérant pas qu'elle était la plus inutile de toutes, et que pour ce sujet elles la regardaient comme un petit démon. 

 

La très-prudente Vierge ouï toutes ces injures et plusieurs autres sans se troubler aucunement ; elle leur répondit avec une profonde humilité :

 

« C'est avec justice, mes chères compagnes, que vous me tenez ces discours, car je suis véritablement la moindre et la plus imparfaite de toutes ; mais vous, mes soeurs, vous devez pardonner mes fautes comme étant mieux avisées, et m'enseigner dans mon ignorance, me conseillant dans toutes les occasions, afin que je sois assez heureuse que de pratiquer ce qui sera le plus saint et le plus agréable à votre goût. Je vous prie, mes bonnes amies, de ne me pas refuser votre amitié, quoique je sois si inutile, et d'être persuadées que je veux bien faire tout ce que je pourrai pour la mériter, car je vous aime et je vous honore comme votre très humble servante, et je le ferai en tout ce en quoi il vous plaira faire l'épreuve de ma bonne volonté. Commandez-moi donc, mes chères sueurs, et dites moi ce que vous souhaitez que je fasse. » 

 

Ces humbles et douces raisons de la très-patiente Marie n'amollirent point le coeur endurci de ses compagnes, possédées de la même rage que le dragon avait conçue contre elle ; au contraire, s'irritant toujours plus, il les incitait et les irritait aussi, afin que la morsure et le venin du serpent, répandu contre la femme qui avait été un grand Signe dans le Ciel, s'irritassent davantage par la douceur du remède. Cette persécution dura plusieurs jours, sans que l'humilité, la patience et la modestie de l'auguste Reine fussent assez puissantes pour diminuer la haine de ses compagnes. Au contraire, le démon leur inspira encore plusieurs mouvements remplis de témérité, afin qu'elles missent les mains sur la très-innocente brebis, la maltraitassent et lui ôtassent même la vie. Mais le Seigneur ne permit pas que des pensées si sacrilèges fussent exécutées ; tout ce qu'elles purent faire fut de l'injurier et de la pousser en passant. Tout cela se passait en secret, sans que la maîtresse ni les prêtres en eussent connaissance. Cependant la très-sainte Vierge acquérait des mérites incomparables et de riches dons du Très-Haut par l'occasion qu'elle recevait d'exercer toutes les vertus envers sa Divine Majesté et envers les mêmes créatures qui la persécutaient. Elle pratiqua à leur égard des actes héroïques de charité et d'humilité, rendant le bien pour le mal, les bénédictions pour les malédictions, les supplications pour les blasphèmes, et accomplissant en toutes choses le plus parfait et le plus élevé de la Loi Divine. Envers le Très-Haut elle exerça les plus excellentes vertus, elle pria pour celles qui la maltraitaient, et s'humilia comme si elle eût été la plus abjecte et la plus digne des injures qu'elle recevait, causant en cela de l'admiration aux anges ; et nous pouvons dire que tout ce qu'elle fit dans cette encontre surpassait l'entendement humain et le plus haut mérite des séraphins. 

 

Il arriva un jour que ces filles étant enivrées de la tentation diabolique, emmenèrent notre jeune Princesse dans une chambre des plus retirées, et croyant y être en toute liberté, elles la chargèrent d'imprécations et d'outrages atroces, afin d'aigrir sa douceur et d'ébranler sa modestie immobile par quelque emportement indiscret. Mais comme la Reine des vertus ne pouvait être, même pour un instant, esclave d'aucun défaut, sa patience se montra plus invincible lorsqu'elle fut plus nécessaire ; ainsi elle leur répondit avec plus de douceur et de bénignité. Étant extrêmement fâchées de ne pouvoir arriver à leur fin, elles haussèrent la voix d'une manière si extraordinaire, que, se faisant entendre dans le Temple contre la coutume, elles y causèrent une grande nouveauté et une étrange confusion. Les prêtres et la maîtresse accoururent au bruit, et le Seigneur donnant lieu à cette nouvelle affliction de son Épouse, ils demandèrent avec sévérité la cause de ce trouble. Et la paisible colombe se taisant, les autres filles répondirent avec beaucoup d'indignation et dirent : « Marie de Nazareth nous inquiète toutes par son terrible naturel, et nous insulte en votre absence de telle sorte, que si elle ne sort du Temple, il ne nous sera pas possible de vivre en paix avec elle. Si nous la supportons elle est hautaine, et si nous la reprenons elle se moque de nous, se prosternant à nos pieds avec une humilité feinte, et ensuite elle nous brouille ensemble par ses murmures. » 

 

Les prêtres et la maîtresse menèrent la Reine de l'univers à une autre chambre, et là ils la reprirent avec une sévérité proportionnée à la créance qu'ils donnèrent alors à ses compagnes ; et après l'avoir exhortée de se corriger et d'agir comme l'on devait agir dans la maison de Dieu, ils la menacèrent que si elle ne le faisait, ils la congédieraient du Temple. Cette menace fut le plus grand châtiment qu'on lui pouvait donner, comme si elle eût été coupable, étant pourtant innocente en toutes les manières. Ceux qui recevront l'intelligence et la Lumière du Seigneur pour connaître quelque partie de la très profonde humilité de l'auguste Marie, comprendront quelque chose des effets que ces mystères causaient dans son cœur très-bon, parce qu'elle se croyait la plus abjecte des enfants d'Adam, la plus indigne de vivre parmi eux et de marcher même sur la terre. La très-prudente Vierge s'attendrit un peu par cette menace et, mêlant ses paroles avec ses larmes, elle répondit aux prêtres :

 

« Mes seigneurs, je vous remercie de la faveur que vous me faites de me reprendre et de m'enseigner, comme la plus imparfaite et la plus digne de correction ; mais je vous supplie de me pardonner, puisque vous êtes les ministres du Très-Haut, de dissimuler mes fautes et de me conduire en toutes choses, afin que dans la suite je puisse mieux plaire à sa Divine Majesté et à mes sœurs, que je n'ai fait jusqu'à présent ; c'est ce que je propose de nouveau avec la grâce du Seigneur, et je commence dès maintenant. » 

 

Notre Reine ajouta d'autres raisons remplies de sincérité et de modestie, de sorte que la maîtresse et les prêtres la laissèrent, après l'avoir avertie de nouveau de ce en quoi elle était très-savante. Elle s'en alla incontinent joindre ses compagnes, et, se prosternant à leurs pieds, elle leur demanda pardon, comme si les fautes qu'on lui imputait eussent pu se trouver en elle, qui était la Mère de l'innocence. Alors elles la reçurent avec quelque douceur, croyant que ses larmes étaient des effets du châtiment et de la correction des prêtres et de la maîtresse, qu'elles avaient réduits à leurs mauvaises intentions. Le dragon, qui tramait secrètement cette insigne méchanceté, augmenta la fierté de toutes ces filles, élevant leurs cœurs imprudents à une plus grande témérité ; et, comme elles avaient déjà fait quelque impression dans celui des prêtres, elles continuèrent avec plus d'effronterie de tâcher de leur faire perdre, par de nouvelles inventions, l'estime qui leur pouvait encore rester pour la très-sainte Vierge. Elles inventèrent pour cela de nouveaux mensonges par l'impulsion du même démon. Mais le Très-Haut ne souffrit jamais qu'on dit ni présumât des choses fort considérables ni indécentes de celle qu'il avait choisie pour être Mère très-sainte de son Fils unique. Il permit seulement que l'indignation et la tromperie des filles du Temple exagérassent beaucoup quelques petites fautes qu'elles avaient controuvées, et que leur malice lui imputait. Toutes ces subtilités ne servirent qu'à découvrir leur méchanceté, qui, étant jointe aux réprimandes de la maîtresse et des prêtres, donnait occasion à notre très-humble et très-innocente Marie d'exercer les Vertus et d'accroître les Dons du Très-Haut et ses propres mérites. 

 

Tout ce que notre Reine faisait était agréable aux yeux du Seigneur, qui trouvait ses délices dans la très-suave odeur de cet humble nard, méprisé et maltraité des créatures qui ne Le connaissaient pas. Elle redoublait ses plaintes et ses larmes par la longue absence de son Bien-Aimé ; et dans une de ces occasions elle lui dit :

 

« Mon Souverain Bien et Seigneur des Miséricordes infinies, on ne doit pas être surpris si toutes les créatures me baissent et s'arment contre moi, puisque Vous, qui êtes mon Maître et mon Créateur, m'avez abandonnée. Mon ingratitude envers vos Bienfaits mérite bien plus de rigueur ; mais je Vous reconnais et Vous avoue toujours pour mon, refuge et mon trésor ; Vous seul êtes ma richesse, mon Bien-Aimé et mon repos ; et si Vous m'êtes tout cela et que Vous soyez absent de moi, comment est-ce que mon coeur affligé pourra se consoler et s'apaiser ? Les créatures font ce qu'elles doivent à mon égard ; elles n'arrivent pas même à me traiter comme je le mérite, parce que Vous êtes doux à affliger et très-libéral à récompenser. Faites, mon Seigneur et mon Père, une juste compensation de mes négligences avec la douleur que votre absence me cause, et rendez avec largesse le bien que vos créatures me procurent, en m'obligeant à connaitre toujours plus votre Bonté et ma bassesse ; élevez, Seigneur, l'indigente de la poussière ; renouvelez celle qui est la plus abjecte des créatures, et faites que je voie votre Divine Face, et je serai sauvée. » 

 

Il n'est pas possible ni même nécessaire de raconter tout ce qui arriva à notre grande Reine dans cette épreuve de ses vertus ; mais, la laissant en elle-même pour le présent, nous dirons qu'elle est un modèle animé qui nous doit enseigner à supporter avec joie les plus rudes tribulations, puisque nous sommes dans la nécessité de recevoir de très-rigoureuses peines et de très-dures afflictions pour satisfaire à nos péchés et dompter notre orgueil sous le joug de la mortification. Notre très-innocente colombe ne commit aucun péché, il ne se trouva aucune faute en elle, et elle souffrit avec un humble silence et une patience inébranlable d'être gratuitement haïe et persécutée. Soyons donc confondus en sa présence, nous qui prenons la moindre injure pour une offense irréparable (quoiqu’elles doivent être toutes légères à ceux qui se sont attiré la colère de Dieu), n'ayant même aucun repos que nous ne nous en soyons vengés. Le Très-Haut pouvait éloigner de son Elue et de sa Mère toute sorte de persécution ; mais s'Il eût usé en cela de son Pouvoir, Il ne l'eut pas manifesté en Se conservant celle qui était persécutée, Il ne lui aurait pas donné des gages si assurés de son Amour, ni elle n'aurait pas joui du doux fruit d'aimer ses ennemis et ses persécuteurs. Nous nous rendons indignes de tant de biens lorsque, dans les injures qu'on nous fait, nous élevons la voix contre les créatures, et le coeur orgueilleux contre Dieu même, qui les gouverne en toutes choses, tandis qu’elles ne veulent point s'assujettir à leur Créateur et à leur Justificateur, qui sait et connaît ce dont elles ont besoin pour faire leur salut. 

 

 

Instruction de la Reine du ciel.  

 

Puisque vous faites réflexion, ma fille, sur le modèle qu'on peut trouver dans ces événements, je veux qu'il vous serve d'instruction, afin que vous la conserviez avec estime dans votre coeur, le disposant à recevoir avec joie les persécutions et les calomnies des créatures, quand vous aurez le bonheur de participer à ce bienfait. Les enfants de perdition, aveuglés de la vanité qu'ils suivent, ne découvrent pas le trésor que la souffrance et le pardon des injures renferment ; ils font gloire de la vengeance, qui est même, selon la loi naturelle, la plus grande des bassesses et le plus noir de tous les vices, parce qu'elle part d'un cœur inhumain et s'oppose le plus à la raison. Au contraire, celui qui les pardonne et les oublie, quoiqu'il n'ait pas la foi divine ni la lumière de l'Évangile, devient par cette magnanimité comme roi de la même nature, parce qu'il reçoit d'elle ce qui en est le plus noble et le plus excellent, et n'est point sujet à l'infâme tribut de se rendre irraisonnable par la vengeance. 

 

Que si le vice de la vengeance s'oppose si fort à la même nature, considérez, ma chère fille, quelle opposition il y aura entre elle et la Grâce, et combien le vindicatif sera odieux et horrible aux yeux de mon très-Saint Fils, qui se fit Homme passible, et qui ne mourut et souffrit que pour pardonner, et qu'afin que le genre humain obtint le pardon des injures commises contre le même Seigneur. La vengeance s'oppose à cette intention, à ses Oeuvres, à sa propre Nature, à sa Bonté infinie, et elle détruit en quelque façon Dieu, du moins autant qu'il dépend du vindicatif ; ainsi il mérite que Dieu emploie tout son pouvoir pour l'anéantir. Il y a la même différence entre celui qui pardonne les injures et le vindicatif, qu'entre le Fils unique et l'ennemi de nos âmes : celui-ci provoque toute la force de l'indignation de Dieu, et l'autre mérite et acquiert tous les biens, parce qu'il est en cette Grâce la très-parfaite image du Père céleste. 

 

Je veux que vous sachiez, ma fille, que le Seigneur agréera plus de vous voir souffrir et pardonner les injures avec un coeur tranquille pour son Amour que si vous faisiez par votre choix de rudes pénitences et versiez même votre propre sang. Humiliez-vous envers ceux qui vous persécutent, aimez-les et priez pour eux de tout votre coeur ; par cette pratique votre amour s'attirera le coeur de Dieu, vous monterez au degré le plus parfait de la sainteté et vous vaincrez tout l'enfer. Par mon humilité et ma douceur je confondais ce grand dragon, persécuteur des hommes ; sa fureur ne pouvait supporter ces vertus, qui le chassaient de ma présence plus vite que la foudre ; ainsi je remportai par leur moyen de grandes victoires pour mon âme et de glorieux triomphes pour l'exaltation de la Divinité. Quand quelque personne s'emportait contre moi , je ne concevais aucune indignation contre elle, parce que je connaissais fort bien qu'elle était un instrument du Très-Haut, dont sa Divine Providence se servait pour mon propre avantage ; cette connaissance et la considération que je faisais qu'elle était créature de mon Seigneur et capable de sa Grâce, m'inclinaient et me forçaient même à l'aimer avec sincérité, et je n'étais point en repos que je ne lui eusse procuré, autant qu'il m'était possible, le Salut éternel en récompense de ce bienfait. 

 

Tâchez donc d'imiter ce que vous avez découvert et écrit ; montrez-vous très-douce, très-pacifique et très-agréable à ceux qui vous seront importuns ; faites-en une estime particulière, et gardez-vous de prendre vengeance du même Seigneur en la prenant de ses instruments ; ne méprisez point la précieuse perle des injures, et autant qu'il dépendra de vous, rendez toujours le bien pour le mal, le bienfait pour les offenses, l'amour pour la haine, la louange pour les opprobres, la bénédiction pour les imprécations, et vous serez fille parfaite de vôtre Père, épouse bien-aimée de votre Maître, mon amie et ma très-chère. 

 

 

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